Cause de béatification du Vénérable Mgr Boleslas Sloskans
Le billet
Janvier-avril 2022 (26)
« Au-delà du mal et de la violence, le Ressuscité conduit l’histoire »
Les dernières paroles de l’homélie du pape François pour la vigile pascale de l’année dernière sont tellement actuelles en ces temps troublés que nous vivons, alors que la guerre en Ukraine fait rage, avec ses conséquences dans le monde entier :
« Jésus, le Ressuscité, nous aime sans limites et visite chacune de nos situations de vie. (…) Reconnaissons-le présent dans nos Galilée, dans la vie de tous les jours. Avec lui, la vie changera. Parce qu’au-delà de toutes les défaites, du mal et de la violence, au-delà de toute souffrance et au-delà de la mort, le Ressuscité vit et le Ressuscité conduit l’histoire.
Sœur, frère, si en cette nuit tu portes dans le cœur une heure sombre, un jour qui n’a pas encore surgi, une lumière ensevelie, un rêve brisé, va, ouvre ton cœur avec étonnement à l’annonce de la Pâque : ‘N’aie pas peur, il est ressuscité ! Il t’attend en Galilée’. Tes attentes ne resteront pas déçues, tes larmes seront séchées, tes peurs seront vaincues par l’espérance. Parce que le Seigneur te précède toujours, il marche toujours devant toi. Et, avec lui, toujours, la vie recommence. »
Nous ne pensions plus revivre en Europe une guerre aussi horrible, nous ne pensions pas que la mémoire du Goulag serait considérée comme subversive en Russie comme l’indique la dissolution récente de l’ONG Memorial fondée par Andreï Sakharov en 1989, l’unique ONG russe qui œuvrait pour garder le souvenir des victimes du pouvoir soviétique. Ce qu’a vécu Mgr Sloskans redevient plus actuel que jamais. C’est ce que beaucoup ont compris. Nous avons été invités récemment à projeter en deux endroits en Belgique le film Un évêque selon le cœur de Dieu, précisément à cause du contexte de la guerre en Ukraine.
« La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux »
Mgr Sloskans a écrit au pape Pie XI qu’il avait offert sa vie pour la Russie, c’est-à-dire pour l’Union soviétique. Que son offrande « pour les frères » continue de porter du fruit dans tous ces pays qui ont fait partie de l’Union soviétique, et, en particulier, en Ukraine !
Dans les années 1930, une partie de la Biélorussie et de l’Ukraine actuelles faisaient partie de la Pologne. Après sa sortie d’U.R.S.S ., Mgr Sloskans a séjourné à Rome. De retour en Lettonie, voici ce qu’il écrit le 11 mai 1934 au Père Nicola Bratko d’origine ukrainienne qui, depuis 1930, est minutante à la Commission pro Russia, tout en résidant et en enseignant au Russicum :
« Cher Père Nicola,
Je ne suis arrivé à Riga que le 7 mai, dans la soirée. En Pologne, j’ai visité Dubno [Ukraine actuelle], Torokane et Albertyn [Biélorussie actuelle]. On ne peut dire qu’une chose : la moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux. Le travail s’accomplit de manière catholique, sans dévier ni à droite, ni à gauche. On prend en considération les différentes coutumes locales qui diffèrent beaucoup des usages de l’autre partie de la Pologne. On peut voir les résultats tangibles du travail. (..)
Mes meilleures salutations à tous les étudiants du Russicum. De manière particulière je remercie la Commission et Mgr Giobbe (le secrétaire). Je pense que l’argent que vous m’avez donné pour le voyage n’a pas été dépensé inutilement. J’ai pu voir et apprendre beaucoup de choses et acquérir un peu d’expérience de vie. Tout cela sera utile pour l’œuvre pour la plus grande gloire du Seigneur. Salutations également à Mgr Tardini. »
« Dieu veut que tous les peuples soient unis entre eux »
Dans les années 1930, Mgr Sloskans enseignait les séminaristes de Riga à distinguer le bon nationalisme du nationalisme maléfique qui divise les peuples : « Le bon nationalisme : (…) Vouloir pour le peuple ce que Dieu veut. Dieu veut que tous les peuples soient unis entre eux, qu’ils s’aiment, ne méprisent pas les autres et n’en soient pas jaloux » (18 novembre 1935). Mgr Sloskans priait ainsi : « Viens, Esprit Saint, unifier les peuples que tu as rassemblés dans l’unité de la foi ! » (id.).
Mgr Sloskans préférait même le terme de patriotisme à celui de nationalisme : « L’amour de la patrie, de la terre des pères. » Il expliquait : « Il faut aimer notre patrie : elle est notre mère. Il y a beaucoup de beaux idéaux. Mais même la belle idée du patriotisme a été défigurée. Les hommes sont devenus les instruments de l’esprit du mal lorsque, sur un territoire, certains peuples ont commencé à soumettre d’autres peuples de ce même territoire. (…) l’amour de la partie se transforme [ainsi] en haine. (…) Chaque peuple a le droit de vivre » (17 novembre 1935).
Quand Mgr Sloskans s’adressait aux séminaristes de Riga, l’Allemagne voulait s’étendre : « Elle veut s’étendre, dominer d’autres nations. (…) Nous-mêmes, nous sommes des hommes avec tous nos droits : nous appartenons à un pays, ce n’est pas un péché. Le Christ lui-même appartenait à un peuple. Le Seigneur Jésus aimait son peuple, pleurait pour lui, pleurait sur Jérusalem, parce qu’il n’y aura plus pierre sur pierre » (id.). Aux séminaristes, Mgr Sloskans ajoutait : « Parce que nous sommes prêtres, il faut aimer son peuple comme le Christ : se réjouir ou pleurer si l’honneur de Dieu est bafoué. Aimer son peuple est une chose sainte, mais il faut le faire comme des prêtres » (id.) Il précisait ainsi le sens du vrai patriotisme du prêtre : « C’est celui qui prie pour son peuple (…) donne sa vie pour son peuple, offre un sacrifice désintéressé. » (18 novembre 1935). Il s’agit vraiment de ressembler au Christ : « En allant auprès du Seigneur Jésus eucharistique, il faut former en soi un juste amour de la patrie : prier le Seigneur Jésus, étendre ses mains comme le Seigneur Jésus sur la croix » (17 novembre 1935).
« Rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu »
Voilà des paroles qui peuvent nous éclairer dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, alors que des formes d’un nationalisme malsain se répandent aussi en Europe occidentale. C’est le Christ qui nous donne la lumière et fonde notre espérance pascale : il est mort « pour la nation – et non pas pour la nation seulement, mais encore pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (Jn 11,51-52). Désormais, rien ne peut plus nous séparer de son amour : « Oui, j’en ai l’assurance, » disait saint Paul, « ni mort ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8,38-39). Le Christ a traversé la mort et les ténèbres, il est vivant pour les siècles et nous pouvons déjà participer à sa victoire pascale.
Sainte fête de Pâques à toutes et à tous ! Que la présence du Ressuscité nous réconforte et nous fasse marcher dans l’espérance !
Ce lundi de Pâques, le 18 avril, nous nous rappellerons de l’entrée dans la Vie de Mgr Boleslas Sloskans, décédé le 18 avril 1981. Confions-nous à lui tout spécialement ce jour-là et continuons de prier pour sa béatification.
Abbé Pascal-Marie Jerumanis
Postulateur de la Cause